Lettre à la famille du Dr Sylvain BALESTER MOURET
inspirée librement de la « Lettre à la famille du Dr Pierre Fouquet – 1956 » ; ce travail d’adaptation et de réécriture a été fait avec la collaboration active des patients de l’Hopital de Jour de la Clinique des Addictions Montévidéo en Mars – Avril 2015
Madame, Monsieur,
Depuis quelque temps, votre proche souffrant d’addiction est actuellement pris en charge. Sans doute vous posez-vous de multiples questions à son sujet, tant pour le passé, le présent que pour l’avenir.
BUT DE CETTE LETTRE
Je viens ici répondre dans la mesure du possible à vos légitimes préoccupations. Il est très utile en effet que je vous tienne parfaitement informé, car vous ne le savez peut être pas encore mais votre rôle demain sera très important. Je vous demanderai, en lisant cette lettre, de tenir compte de son caractère impersonnel. Écrite pour toutes les familles de personnes souffrant d’addiction, elle ne saurait tenir compte du cas particulier qui se pose à vous. Vous ne trouverez donc ici que des considérations d’ordre général sur la maladie si particulière et si méconnue dont votre proche est atteint. De même, je ne pourrai vous suggérer qu’une ligne de conduite globale. En aucune façon, cette lettre ne peut se substituer à une conversation plus approfondie entre vous et un soignant.
LA « PETITE GUERRE » CHEZ VOUS
Quelle est donc cette maladie qui a si profondément détérioré la vie de votre proche souffrant et celle de sa famille ? Depuis des mois, sinon des années, vous êtes le témoin douloureux d’un fait incompréhensible : il/elle présente une consommation maladive, compulsive, inquiétante d’alcool, de drogues, de médicaments, de substances, il/elle fait des excès, soit tous les jours, soit par périodes et tout lui devient insurmontable quelles que soient les qualités ou quantités de ces substances.
Peu importent d’ailleurs les modalités de détail de sa consommation, le fait est qu’il/elle continue les yeux fermés, au-delà de la raison. Sa santé en souffre, évidemment, mais aussi son humeur, plus souvent mauvaise que bonne; son caractère devient pénible, irritable; ses capacités intellectuelles fléchissent, son travail aussi s’en est vivement ressenti, etc. Toutes ces altérations sont évidentes, crèvent les yeux de son entourage et le/la font souffrir.
Naturellement, vous lui en avez fait la remarque, c’était le bon sens même. A votre étonnement, il/ elle est resté(e) sourd(e) et a continué à consommer comme avant. Après les appels à la raison, sont venus les reproches, peut-être même les menaces. Probablement vous est-il arrivé parfois de vous mettre en colère et finalement de désespérer de trouver une issue à cette situation infernale. En même temps que votre chagrin et votre irritation croissaient, le mal ne faisait qu’empirer. Après avoir eu l’illusion persistante qu’il/elle aurait pu s’arrêter s’il/elle l’avait voulu, vous en êtes peut-être arrivé à penser qu’il/elle le faisait exprès. Au lieu de reconnaître que la vie devenait impossible, votre proche prétendait par exemple, n’avoir rien pris, ou… presque pas : de nombreux indices vous prouvaient immédiatement le contraire. Après les dénégations, vous avez connu aussi les repentirs, puis les promesses, les espoirs tout neufs chaque fois brisés, etc.
Par ailleurs, bien souvent vous avez eu le sentiment que votre proche vous mentait en déniant la réalité des faits comme s’il/elle avait voulu vous tromper (déni). Bien souvent, il/elle se mentait à lui/elle-même (dénégation) car il était bien difficile et culpabilisant de s’avouer à lui/elle-même son propre échec et souhaitait se convaincre du contraire. Encore, certaines personnes présentent une incapacité réelle à voir la réalité en raison de leur maladie et des conséquences sur le cerveau (anosognosie).
LA SITUATION ACTUELLE
Aujourd’hui, la situation s’est modifiée : soit après un incident plus grave que les autres, soit par crainte de perdre définitivement votre affection ou de ruiner sa situation, ou sa santé, ou par volonté, votre proche a décidé, bon gré, mal gré, de se soigner. Depuis son entrée ici, vous avez eu des contacts. Vous avez pu constater son amélioration physique et morale. Il/elle a retrouvé sommeil et appétit, son caractère est plus gai, plus confiant, plus stable; il/elle fait même des projets d’avenir. Voilà un premier bilan positif et rassurant; mais probablement vous posez-vous dès maintenant d’autres questions : « Combien de temps cela va-t-il durer ? Après sa sortie peut-il retomber dans les mêmes errements ? Faudra-t-il tout recommencer dans quelques semaines ou quelques mois ? » Pour répondre à ces questions, je dois vous expliquer très brièvement en quoi consiste cette maladie.
LA MALADIE
D’abord, me direz-vous, pourquoi parler de maladie, et non pas plus simplement du vice, du manque de volonté, des mauvaises habitudes qui ont entraîné tous ces malheurs ?Justement, tous ces termes ne sont pas applicables à votre proche et une étape décisive sera franchie par vous comme par lui, quand vous aurez admis que vice, défaut de volonté ou mauvaises habitudes n’ont rien à voir avec ce qui arrive. Il s’agit de tout autre chose. Il s’agit d’une maladie dont je peux résumer le symptôme majeur par une phrase :
VOTRE PROCHE AVAIT PERDU LA LIBERTÉ DE S’ABSTENIR DE CONSOMMER.
L’addiction est reconnue comme une maladie par l’organisation mondiale de la santé.
On peut affirmer aujourd’hui que l’addiction est une maladie du fonctionnement du cerveau, preuves scientifiques à l’appui grâce à l’imagerie cérébrale fonctionnelle.
De nombreuses études récentes tendent à démontrer qu’il peut exister des facteurs génétiques, neurobiologiques ou biologiques pouvant représenter des facteurs de vulnérabilité à l’addiction, appuyant ainsi le fait qu’il s’agit bien d’un problème de santé et non d’un problème de volonté. Par ailleurs, que ces facteurs existent ou non préalablement, la consommation de substances ou la répétition des comportements addictifs peuvent créer des dysfonctionnements du cerveau et des organes qui peuvent persister longtemps même après l’arrêt.
Il est d’un intérêt capital que vous compreniez bien ce que je veux dire par cette phrase. Je vous précise, en effet, qu’il s’agit de la perte d’un mécanisme normal. On peut prendre l’exemple de l’alcool : pour vous, pour moi, les boissons alcoolisées peuvent-être un agrément, un plaisir même, mais nous pourrions nous en passer facilement. Pour votre proche, les substances, alcool ou autres, étaient devenues une nécessité maladive aussi impérieuse et vitale que pour nous tous le besoin de dormir. On peut échapper au sommeil pendant un temps plus ou moins long, mais tôt ou tard il faudra dormir . Il en va de même pour votre proche à l’égard des produits : qu’il lutte ou qu’il ne lutte pas, c’est un fait qu’il n’a pu assouvir son envie morbide, maladive et incontrôlable de consommer.
LES 3 ÉLÉMENTS DE CETTE MALADIE
- L’intoxication – Dans ces conditions, peu à peu, l’organisme s’est intoxiqué, c’est-à-dire qu’il a accumulé des produits toxiques dont l’effet était d’autant plus nocif que l’organisme était de moins en moins résistant. Grâce au sevrage, la situation a pu être stabilisée.
- Le facteur psychologique – Mais ce n’est pas tout. Peut-être avez-vous pu noter, bien avant qu’il ne soit malade, divers traits particuliers de son caractère ou certaines tendances de sa personnalité. Et depuis, lors de chaque circonstances émotionnelle (tristesse, anxiété, dépit, colère, joie), votre proche a tendance à les vivre de manière exacerbée, vous avez sans doute remarqué qu’il avait tendance à consommer davantage et aussi que dans ces circonstances il/elle les gérait moins bien mais avait le sentiment du contraire.
Rappelez vous aussi l’expression « noyer son chagrin ». Cet exemple montre un aspect du rôle des substances. Dans sa lettre, Fouquet cite aussi l’histoire du soldat de deuxième classe à qui le capitaine propose le galon de caporal, s’il peut s’arrêter de boire pendant deux mois. L’autre répond : « Mon capitaine, ça ne m’intéresse pas, quand j’ai bu je me crois général ». Si il se permet de nous conter cette anecdote, alors que vous n’avez pas précisément le coeur à rire, c’est parce qu’elle illustre naïvement un des mécanismes possibles qui a pu être à l’origine du rêve insensé de trouver le bonheur par la consommation. La substance éloigne de tout.
Cette manière de vivre les émotions, et sans doute bien d’autres éléments psychologiques plus intimes, ignorés de vous ou même de lui, jouent un rôle déterminant dans cette maladie.
Certaines circonstances émotionnelles, même anodines, pourraient être de nature à provoquer la réapparition du désir de consommer. Des épisodes de vie « stressants » (qu’ils soient positifs ou négatifs : bonnes nouvelles, ruptures, changements, évènements positifs, phases heureuses ou euphoriques, climats stressants ou dépressifs…) peuvent constituer une sensibilité/fragilité/ vulnérabilité particulière pour des dérapages, des accélérations, des aggravations ou des rechutes. Ces mêmes événements de vie, aussi bien heureux que malheureux, constituent parfois des phases durant lesquelles certaines personnes peuvent déclencher un comportement addictif, une sorte de bascule de la consommation plaisir ou qui soulage vers une consommation problématique. - les facteurs sociaux – En France, nous admettrons le poids de la culture du vin et des spiritueux, des traditions d’usage de l’alcool lors des événements de vie, exposant les enfants même jeunes à une valorisation de l’alcool et à une banalisation de son usage. Sans négliger le fait que les Français sont les champions du monde de la consommation de traitements psychotropes, d’où l’habitude fréquente d’un recours systématique aux médicaments. Par ailleurs, dans notre pays, les messages de prévention sont rares et insuffisants et souvent trop tardifs et n’ont pas démontré leur efficacité.
Les facteurs éducatifs ne sont pas à négliger, l’influence des parents peut jouer un rôle dans les conduites addictives. - les facteurs biologiques – Le poids des gènes est aujourd’hui bien identifié et prouvé d’un point de vue scientifique même s’il n’est pas totalement encore décrypté, constituant une prédisposition à l’addiction. Il faut compter sur ce facteur dans certains cas, sans dédouaner les patients.
Ce bref résumé vous permet de mieux comprendre le traitement que j’ai pratiqué : dans un premier temps, comme je vous l’ai dit, le traitement consiste à désintoxiquer le patient, de manière rapide ou progressive, avec ou sans traitement. Ensuite, dans la phase de sevrage ou de consolidation, les éléments psychologiques, cognitifs, comportementaux, intimes, émotionnels, sociaux, physiques, moraux, les valeurs, l’éthique, sont abordés de plusieurs façons.
C’est dire toute l’importance qu’il y aura pour votre proche à retrouver de l’harmonie, de la sérénité, de la satisfaction, de l’authenticité dans la vie de tous les jours, comme tout un chacun, avec ses hauts et ses bas, avec ses aléas plutôt que celles, illusoires, inaccessibles, artificielles cherchées dans les produits. Il ne lui suffira pas d’arrêter, je lui souhaite de réapprendre aussi à être heureux, autant que possible, à réapprivoiser sa vie et ce qu’il est. C’est un parcours parfois difficile, parfois long.
VOTRE ATTITUDE
Et vous-même, que pourrez-vous faire ? Le plus important est d’abord que vous admettiez qu’il s’agit d’une maladie. Seul le médecin peut intervenir au début du traitement. Vous-même n’avez pu rien faire jusqu’à ce jour. Vous sortez du cauchemar, sans doute êtes-vous plus calme, reposé et éventuellement prêt à un nouvel effort pour l’aider à se stabiliser. Aussi vais-je me permettre de vous donner quelques conseils pour le présent et l’avenir immédiat.
Ils peuvent se résumer ainsi :
- Liquider le passé – Votre droit au bonheur a été saccagé, je le sais. Croyez bien que, pour avoir entendu des centaines de confidences analogues à celles que vous pourriez me faire, je comprends le drame que vous avez vécu et compatis très sincèrement à vos souffrances. Quelle que soit votre situation présente, je vous demande instamment de tout faire pour entreprendre avec courage la liquidation de ce passé douloureux. Sans doute n’est ce pas toujours aisé et bien des détails navrants ne sont pas faciles à oublier.Les allusions incessantes aux fautes commises, les reproches, les ressentiments ne possèdent aucune vertu curative, croyez-moi. Inutile de vous acharner à obtenir des aveux, à exiger qu’il reconnaisse ses manquements. L’expression de ses regrets ou de ses remords vous apporterait peut-être une satisfaction amère, mais dans une large mesure ceci risque d’être particulièrement nocif pour lui et de le rejeter dans le désespoir. On ne peut valablement reconstruire dans ce climat. Enfin, comme vous le savez, bien d’autres éléments de la situation présente risquent de se charger, en dehors de vous, de lui rappeler tout ce qui a été détruit. Lui aussi sait tout cela.Aujourd’hui il/elle mesure avec lucidité l’étendue des dégâts. Mon rôle a consisté en partie à lui permettre cette critique serrée de ses années perdues, et aussi à l’aider à surmonter de lourds sentiments de culpabilité. Aussi mon premier conseil est-il : ne parlez plus du passé.
- Rester neutre à l’égard du produit. C’est votre ennemi. Sans doute êtes-vous prêt encore à reprendre la lutte pour vous en éloigner. Pourtant je vous dis: il faut cesser le combat. Désormais, c’est moi qui m’occupe de ce problème avec votre proche : je vous demande instamment de ne plus intervenir en aucune façon sur ce point.
Je m’explique :- Quand l’alcool est en jeu : à la maison : ne cachez pas forcément les bouteilles. Si vous aviez jusque là l’habitude aux repas de boire du vin ou de la bière, il serait possible de continuer. Agir autrement à terme pourrait être inutilement vexant pour lui. Mais dans un premier temps, pour certaines personnes il peut être utile de ne pas l’exposer à l’alcool. Il est surtout important de privilégier le dialogue et définir une conduite à tenir supportable pour tous. Interrogez votre proche sur ce qu’il souhaite ou sur l’attitude la plus adaptée à ses besoins.
- Hors de la maison, les situations ou les lieux à risque sont nombreux. Dans la vie, les « occasions » ne manqueront pas; vous savez trop que vous n’y pouvez rien. Je ne doute pas que cela soit difficile pour vous. Si un jour votre proche est en retard pour rentrer, vous éprouverez un serrement de coeur et penserez immédiatement : « Ça y est, je suis sûr que c’est à cause de
Donc pas de recommandations du genre : sois raisonnable, fais attention, etc., pas de serments, pas depromesses; pas de questions insidieuses du genre : tu as l’air fatigué ? tu as l’air excité ? tu es rouge ? tu es pâle ? tu ne parles pas ? tu parles beaucoup ? qui sous-entendent toujours : est-ce que tu as consommé ?
Pas de limitation sociale : ne refusez pas les invitations, ne craignez pas forcément les sorties. Etablissez un dialogue avec votre proche et faite lui confiance pour identifier les situations à fort risque, celles qui seraient à éviter, celles qui mettraient en danger son abstinence et celles qui sembleraient plus acceptables et gérables, sans consommer.
Enfin, pas de surveillance des médicaments prescrits, s’il en a.
Même si vous ne me croyez pas tout à fait – et je sais que vous resterez anxieux pendant des mois essayez de jouer le jeu. C’est aussi un parcours qui nécessite un engagement de votre part, des efforts, de la patience, de l’indulgence et de la confiance. - Lui faire confiance – Je viens de vous demander deux choses difficiles : pas de considérations rétrospectives, pas de surveillance relative aux produits dans le présent. Il faut encore plus : lui témoigner la plus large confiance possible pour l’avenir. Vous savez que votre proche a été se promener seul en ville. Cette mesure thérapeutique a pu vous paraître risquée. Pourtant il ne s’est rien passé d’extraordinaire, ou, plus exactement, ce qui a pu paraître extraordinaire c’est qu’il a probablement fait un usage normal de sa liberté retrouvée. Dans quelques jours, il/elle sera de retour à la maison et bientôt reprendra ses activités. Ceci sous-entend qu’il va de nouveau assumer un certain nombre de responsabilités vis-à-vis de lui, vis-à-vis de vous et des autres. Il/ elle aura des initiatives et des décisions à prendre ; il/elle retrouvera certaines prérogatives perdues, par exemple le maniement normal de l’argent; en un mot, il/elle redeviendra un adulte autonome.
Pour l’aider à cette restauration de sa valeur humaine, là encore, je vous propose de prendre le contre-pied de votre attitude antérieure probable : pas de limitations, pas de restrictions, faites taire une anxiété qui vous
conduirait à la suspicion, à la méfiance.
C’est ainsi et seulement ainsi qu’il retrouvera grâce à vous l’estime et l’affection dont il/elle a tant besoin. Dans notre société qui a tendance à se déshumaniser où tout est si parfaitement organisé pour développer et encourager la dépendance, trop peu de choses existent encore pour venir au secours de ses victimes qui rencontrent seulement menaces et coercitions.
Comment pourra-t-il retrouver une signification valable à sa vie si ce n’est d’abord auprès de vous et des siens ? J’aurai à vous parler toutefois des mouvements d’entraide ou d’auto-support qui pourront vous offrir, à lui et à vous, aide et réconfort.
L’AVENIR
Je ne me dissimule pas à quel point la lecture de ces lignes peut vous laisser sceptique. Peut-être pensez-vous que je ne tiens vraiment aucun compte de tout un passé de mensonges et de dissimulation et qu’en définitive je suis bien naïf de vous proposer une politique semblable !
Mon rôle n’est pas de vous bercer d’illusion ou d’espoir. Si je vous suggère aujourd’hui une attitude si contraire à celle que vous avez été contraint d’adopter, c’est bien parce que jusqu’ici le résultat a été nul. Si vous reconnaissez cette inefficacité, laissez-moi vous montrer un autre chemin.
Voici maintenant ma propre opinion en ce qui concerne l’avenir de mes patients ; là encore je ne peux exprimer que des généralités valables pour tous et ne tenant pas compte de votre cas particulier.
Une maladie qui dure depuis 5, 10 ou 20 années ne guérit pas en 4 semaines. Quand votre proche sortira d’ici, il/elle sera seulement convalescent . Nous sommes en présence d’une maladie de longue durée : le minimum de temps pendant lequel le patient devra être suivi est de l’ordre d’une année. Souvent, un temps plus long est nécessaire. L’évolution de la maladie est difficilement prévisible actuellement : elle peut aussi bien être d’emblée favorable qu’entrecoupée, à plus ou moins longue échéance, d’incidents de tous ordres dont vous devez être informé. Sachez dès maintenant que l’essentiel sera, quoi qu’il arrive, de garder la liaison avec moi.
- Le premier incident auquel vous pensez est la rechute ; ce n’est pas forcément le plus grave. Rappelez-vous que consommer, sous quelque forme que ce soit et si peu que ce soit, aurait de fortes chances de rallumer la nécessité de continuer. Si une telle éventualité se présentait, et si vous en aviez l’absolue certitude (la consommation est redevenue problématique par les quantités, la régularité, les conséquences physiques, relationnelles, matérielles) vous devez alors sortir de la réserve que je vous ai recommandé d’observer. Malgré votre chagrin ou votre irritation secrète, vous aurez une fois encore à lui prouver votre indéfectible affection en lui évitant les reproches et en insistant calmement sur la nécessitéimpérative de venir me voir le plus tôt possible. Certes, votre proche risque d’avoir l’illusion de pouvoir s’arrêter seul, le lendemain. Rappelez-vous que ce n’est qu’une illusion. Pour l’aider à revenir le plus tôt possible à la consultation, montrez-lui que vous comprenez sa souffrance en faisant abstraction de la vôtre. Il y a toutes les chances alors que cet incident soit sans gravité.
- Le deuxième ordre de difficultés possibles est la persistance d’un état physique, mais surtout moral médiocre. Il n’est pas exclu que, même en restant strictement abstinent, votre proche n’éprouve, pendant un temps assez long, soit des troubles du sommeil, de l’appétit, etc., soit sur un autre plan de l’anxiété, des tendances dépressives ou obsédantes, etc. Le traitement de ces manifestations éventuelles est un des objectifs poursuivis pendant la prise en charge à plus long terme.
- Enfin la situation conjugale, familiale, professionnelle, financière ou sociale dans laquelle il/elle se trouve est plus ou moins compliquée. Sans doute, bien des obstacles devront-ils être surmontés. Là encore, il peut y avoir des hauts et des bas et la réussite sera plus ou moins longue à venir.
Je crains maintenant une chose : à la lecture de l’avant-dernier paragraphe, vous avez été tenté de me trouver trop optimiste. Les perspectives que je viens de vous tracer dans ces dernières lignes concernant l’évolution de la maladie risquent à l’opposé de vous paraître bien sombres.
Croyez-moi, je m’efforce de rester objectif en vous disant que le pronostic est impossible et en vous montrant les choses en face. Retenez, je vous prie, qu’un nouvel et authentique espoir est né. Ce sont les cas en apparence les plus désespérés qui parfois réussissent le mieux.
CONCLUSION
J’arrive à la fin de cette lettre, d’une longueur inusitée dont je m’excuse. Il fallait que je vous dise tout cela. Gardez ces quelques pages, relisez-les et surtout ne craignez ni de me faire des objections, ni de me poser d’autres questions. Enfin, l’équipe soignante est à votre disposition pour que nous puissions ensemble, examiner comment adapter ces principes très généraux à votre cas particulier.
En vous remerciant à l’avance de votre coopération, je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur, l’assurance de mes sentiments les plus sincères.