publié le 24/04/2020 sur le site de Fédération Addiction
Commentaires du Dr BALESTER MOURET
Parce que les fumeurs seraient moins nombreux parmi le personnes atteintes globalement par le Covid-19, il ne faudrait pas que les efforts collectifs et individuels pour accompagner les fumeurs vers l’arrêt soient mis à mal par des publications laissant supposer que le tabac serait un « facteur protecteur » et incite par conséquent les fumeurs à retarder leur projet de sevrage et les anciens fumeurs à se laisser glisser dans une reprise de la consommation !
Attention : Les résultats constatés ne concernent pas la totalité des personnes atteintes mais une infime partie des personnes contaminées (2 études en France, 1 étude en Chine)
Les fumeurs seraint en revanche plus à risque de développer des formes graves de Covid-1 : le tabac est responsable de pauvreté et de maladies qui sont des facteurs de risque majeurs pour les formes les plus sévères de la maladie
Le tabac est une épidémie de beaucoup plus meurtrière que le COVID-19 !
– Dans le monde : 1 personne meurt toutes les 6 secondes à cause du tabac = 1,2 millions de morts par an
– En France : 75000 décès par an
La nicotine serait-elle le facteur protecteur en cause ?
Cette substance présente dans le tabac et principale responsable du comportement addictif est néanmoins utilisée (dans les traitements ou les e-cigarettes) avec succès pour l’aide à l’arrêt :
la nicotine n’a pas d’effet délétère sur la santé physique, faut-il encore le marteler ?
– aucune maladie n’est provoquée par la nicotine
– la nicotine n’est pas responsable des cancers, des maladies respiratoires ou cardio-vasculaires
– ce sont les produits générés par la combustion du tabac et des produits chimiques participant à la fabrication des cigarettes, du papier, les agents de saveur et autres recettes des manufactures de tabac
La mortalité liée au tabac n’a d’autre vaccin que l’arrêt !
Le tabac ne tue pas par vagues saisonnières d’épidémies :
– il a tué et tuera de manière constante et certaine 1 fumeur régulier sur 2 (+ d’1 milliard de personnes vont mourir à cause du tabac au 21ème siècle)
– il gâche la vie des tous les fumeurs et leur entourage à moment donné
Même – et surtout dans la situation actuelle – fumer n’est jamais une solution mais toujours un piège et c’est une fois de plus confirmé :
– puisque le doute a pu planer qu’il puisse être un facteur protecteur… (alors qu’il n’en est rien : s’il diminue légèrement le risque de Covid-19 dans la forme bénigne mais augmente le risque de forme sévère et multiplie aussi par 40 le risque de maladie mortelle, je ne pourrai pas reconnaitre que cela puisse être utile de fumer)
– puisque le tabac génère plus de pauvreté et diminue la liberté : 2 conséquences déjà bien palpables de cette pandémie !
– puisque la situation est stressante, spontanément cela augmente la consommation, ce qui augmente le stress…
– puisque la situation est grave et exceptionnelle, on va s’engager d’autant moins dans un sevrage ou des activités favorables à la santé…
– puisque le tabac fait tousser et cracher et que le geste de fumer augmente de facto le nombre de fois où l’on porte ses doigts à sa bouche, fumer contribue toujours à la propagation d’une infection… ans compter tous ces mégots dans l’espace public : ils sont aussi vecteurs de maladies que les mouchoirs jetables !
– puisque dans le contexte actuel de confinement, le tabac est encore plus dangereux, puisqu’il incite à prendre des risques : soit en fumant à l’intérieur (au passage, on expose ainsi l’entourage non fumeur), soit en sortant sans masque (ce n’est pas pratique de fumer avec un masque), on multiplie les risques d’exposition au Coronavirus…
Pour l’instant, les études cliniques débutent pour observer le lien éventuel entre nicotine et Covid-19, en prévention… Cela ne va pas être très simple…
Et méfions nous des apparences…
Parmi les récentes actualités concernant le COVID, le rôle de la nicotine dans l’évolution de la maladie est actuellement scruté avec attention.
Plusieurs publications sont à l’origine de cela :
- Des données issues d’études chinoises et américaines tout d’abord qui montrent un taux de fumeurs parmi les personnes atteintes par le Covid-19 de quatre à dix fois inférieur à la prévalence tabagique en population générale[1].
- Des chiffres similaires ont été relevés par l’AP-HP. Une étude – réalisée au sein du service de médecine interne à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) – a permis d’affiner les résultats en prenant notamment en compte les caractéristiques des personnes hospitalisées tel que l’âge. La proportion de fumeurs est ainsi de 4,4% chez les patients hospitalisés (âge médian 65 ans) alors qu’ils sont 8,8% chez les femmes et 11,3% chez les hommes dans la population générale des 65-75 ans[2].
En parallèle, un questionnaire lancé par les associations AIDUCE et SOVAPE, avec la collaboration du Pr Bertrand Dautzenberg de Paris Sans Tabac a permis de sonder 10 000 personnes en France dont 5000 vapoteurs[3]. Les informations récoltées ne montrent aucun effet du vapotage – positif ou négatif – quant au risque de contracter le Covid (2,5% de l’ensemble des personnes consultés déclarent une suspicion de contamination par le virus, contre 2,8% pour les vapoteurs).
Des essais avec des patchs nicotiniques sont prévus afin de compléter ces observations et d’établir si la nicotine a véritablement un impact sur la contamination et/ou l’évolution de la maladie.
En attendant un arrêté vient d’être publié afin d’éviter toute surconsommation de substituts nicotiniques et de garantir leur approvisionnement dans le cadre d’un sevrage tabagique. Celui-ci limite temporairement leur achat à une quantité correspondant à un mois de traitement[4].
Que retirer de ces observations ?
A ce stade il convient de traiter avec précautions ces informations qui ne permettent pas encore d’établir un lien de causalité. La nicotine constitue pour l’heure une piste de recherche supplémentaire qui mérite d’être explorée. Rien ne sert d’exagérer son rôle ou de tomber dans une promotion précoce avant que des résultats tangibles ne soient connus. Continuons de promouvoir les traitements de substitution nicotiniques comme des outils de sevrage efficaces et qui peuvent être particulièrement utiles pour apaiser les difficultés liées au confinement.
En parallèle – alors que 80% des français sont encore convaincus que la nicotine est cancérigène[5] – il nous faut redoubler de vigilance afin que ces dernières actualités ne viennent pas renforcer la confusion déjà existante dans le débat public entre la nicotine et le tabac fumé. C’est la nicotine, déjà utilisée dans les traitements de substitution dont l’effet est étudié actuellement. Le tabac lui continue de tuer 75 000 personnes en France chaque année[6] et pourrait même être à l’origine d’une aggravation plus rapide de la maladie.
[1]SANTI Pascale. Le Monde. Coronavirus : la proportion de fumeurs parmi les personnes atteintes du Covid-19 est faible. 22 avril 2020. https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/22/coronavirus-une-proportion-reduite-de-fumeurs-parmi-les-malades_6037365_3244.html
[2] Ibidem
[3] So Vape. Nicotine et Covid-19 : une enquête auprès de plus de 5000 vapoteurs. 11 avril 2020. https://www.sovape.fr/nicotine-covid-19-enquete-5000-vapoteurs/
[4] Arrêté du 23 avril 2020. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041817219
[5] So Vape. Sondage BVA/SOVAPE – Arrêt du tabac : les français vont-ils se priver de l’outil du vapotage ? 16 octobre 2019. https://www.sovape.fr/sondage-bva-pour-sovape-les-francais-vont-ils-se-priver-du-vapotage-pour-arreter-de-fumer/
[6] SANTI Pascale. Ibid